La demande

Sandra Dieckmann

Parlons un peu de la « demande » en éducation spécialisée. Notion que je trouve essentielle et dont on parle assez peu finalement.

La demande peut être  » tout autant claire, explicite, mais aussi voilée, déplacée, plus ou moins implicite et sujette à toute interprétation autour de l’attente, du désir, de l’espoir du demandeur. Cette complexité est souvent évoquée par les travailleurs sociaux lorsqu’ils parlent de la demande exprimée, de la demande réelle à découvrir, sans parler de leur propre demande. Pris entre les exigences du pouvoir institutionnel, administratif avec un rôle d’exécutant de plus en plus important et une position où son pouvoir s’amenuise encore, que peut faire le travailleur social? Comment utiliser la marge de liberté qui est la sienne? » nous interroge Paule LEBBE-BERRIER dans son livre « Pouvoir et créativité du travailleur social« .

Autour de la demande, véritable pierre d’angle de la relation éducative, gravite une somme plus ou moins importante de non-dits, d’espoirs, de croyances, de plaintes, de besoins fondamentaux d’amour, d’acceptation, de reconnaissance, de dépendance.

Autour de ces enjeux de premier ordre, s’ajoutent les demandes des autres sphères qui peuvent interférer comme celles d’une famille, d’un employeur, de la justice, d’une équipe médicale par exemple…

Ainsi le problème majeur rencontré avec cette notion de demande, est qu’elle rend compte d’une complexité des circuits possibles car souvent ce n’est pas la personne bénéficiaire de l’accompagnement qui est en demande. C’est souvent une famille, une institution, un partenaire social. ou encore autre hypothèse possible, la personne ne formule pas vraiment de demande très affirmée envers notre venue/ notre présence.

Mais alors la question qui se pose est de savoir comment le travailleur social peut s’y retrouver dans tout cela?

Moi je pense qu’en tant qu’éducateur spécialisé, nous devons nous concentrer sur ce qui fonde notre profession à savoir l’établissement d’un lien avec la personne, d’une rencontre et d’une confiance afin de pouvoir laisser émerger l’expression d’une demande plus explicite. Il s’agit de mettre en place de l’écoute, et du temps pour écouter.

Les personnes ont besoin souvent d’exprimer une plainte, un mal être sans forcément une demande d’aide en vue d’un changement, comme on le croit si facilement et qu’on anticipe souvent.

Ainsi e crois qu’en tant qu’éducateur notre mission c’est aussi et avant tout apprivoiser la manière de parler de la personne tout en laissant le champ de son possible s’exprimer. Laisser le rythme d’élaboration de la personne sans le presser tout en y mettant son propre rythme aussi. C’est tout l’enjeu je pense de la relation éducative. Penser, exprimer et faire à la place de la personne n’apportera rien de durable, je pense que nous avons tous testé et expérimenté ce champ là qui est sans issue.

Ainsi laisser la personne aller au bout d’une de ses idées et s’en faire une expérience précise, tout en assurant sa sécurité évidemment, est de loin une attitude éducative fructueuse. Quel est le rapport avec la demande? Eh bien justement souvent derrière l’impératif de recevoir et de répondre aux demandes de ceux que nous accompagnons, nous ne prenons pas assez le temps de laisser la personne élaborer et nous anticipons dans la mise en action de l’accompagnement et dans notre réponse éducative. Bloquant ainsi beaucoup de possibilités chez la personne de s’exprimer davantage et de s’affirmer .

Je me rappelle en stage long de 3ème année, j’accompagnais un jeune homme dans la recherche d’un logement. Cela faisait deux mois que cela trainait. Le jeune homme devait éplucher les petites annonces et appeler, nous nous rencontrions une fois par semaine pour faire le point. Malgré cela, la difficulté chez le jeune homme résidait dans l’accomplissement de ce coup de téléphone sans qu’il puisse formuler une demande d’aide. Ainsi un partenaire un jour m’interroge en ces termes :  » comment cela se fait il qu’il n’a toujours pas de logement? en général il faut un mois tout au plus ! » j’ai bien compris dans cette question, l’enjeu qui était là et qui était de l’ordre de l’accompagnement éducatif. Pour ce partenaire comptait surtout et essentiellement le « résultat » à savoir qu’il ait un appartement. Or moi je me focalisais sur le chemin que le jeune homme accomplissait pour atteindre ce résultat en me disant que tout ces petits pas fait par lui , lui servirait , quoiqu’il en soit.

Ainsi le résultat bien qu’important était bien moins important que tout le chemin parcouru pour y arriver.

Il est évident que j’aurais pu décrocher le téléphone et prendre les choses main pour que cela s’accélère mais est ce vraiment éducatif ? Pour terminer l’histoire, le jeune homme a trouvé un logement quelques mois après.

Ainsi pour moi l’essentiel est de trouver d’une part l’équilibre entre la mise en action de ce que nous avons compris d’une demande et du mode d’expression de celle-ci et laisser d’autre part, à la personne suffisamment de champ possible pour que la demande puisse se préciser, s’affiner, voire trouver une solution sans notre intervention.

Enfin, je pense aussi qu’il y a des demandes auxquelles nous pouvons ne pas répondre afin de laisser le système de la personne se réguler lui-même. C’est aussi cela le travail éducatif.

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